Quoi de plus fou que l’histoire de la Terre? Dans “Legacy”, Yann Arthus-Bertrand commence par le commencement, en revenant sur les débuts de notre planète, il y a environ 4,5 milliards d’années, avant d’arriver à l’apparition des humains et de leur terrible découverte: celle des énergies fossiles. Avec pédagogie (et des images à couper le souffle), le photographe s’attelle à nous montrer quelles terribles conséquences ont les activités humaines sur l’environnement. Et comment, en une poignée d’années seulement, l’Homme a détruit son propre lieu de vie. Inquiet pour l’avenir, “YAB” ne culpabilise pas, il s’interroge. Comment en est-on arrivé là? Et surtout, quel héritage laissons-nous aux générations futures?
Contrairement à “Home”, “Legacy” adopte un ton très personnel. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aborder le thème de l’écologie sous cet angle?
Yann Arthus-Bertrand:J’ai eu beaucoup de mal à faire ce film. Personne n’en voulait, on n’avait pas de financement. Et à un moment, je me suis aperçu qu’il fallait que je parle de moi, de ce que je ressentais, de ce que j’étais, que je parle de ma vie pour toucher les gens. Quand j’avais vingt ans et que je partais au Kenya pour photographier les lions, je n’avais pas peur de l’avenir. Aujourd’hui, à 20 ans, l’avenir est inquiétant. Si tu sais lire et que tu sais écrire, tu vois les choses différemment. Je voulais donc raconter cette histoire et surtout avoir le courage de dire la vérité.

Visiblement, toute vérité n’est pas bonne à dire, puisque le documentaire a été refusé par la plupart des chaînes en France…
Les chaînes n’en voulaient pas. France 2 m’a dit: “T’es, trop pessimiste, il faut de l’espoir”. Mais l’espoir… On est un peu piqué au génie humain. On a l’impression qu’on va trouver la solution, et donc qu’on doit absolument amener de l’espoir. Évidemment qu’on en a, mais ça n’empêche pas de dire la vérité. Ça fait 20 ans qu’on nous parle d’espoir, c’est bon maintenant! Aujourd’hui, il faut dire les choses, et il faut bien les dire.
Comme à son habitude, dans “Legacy” Yann Arthus-Bertrand nous offre des images spectaculaires. Ici, le photographe a survolé la plage bondée d’Ipanema, au Brésil.© © Yann Arthus-Bertrand
Les appels à agir des scientifiques et des militants se multiplient ces dernières années. Comment faire comprendre aux décideurs et aux citoyens qu’il y a urgence?
Quand on voit tout ce qui se passe en ce moment, on se rend bien compte qu’on ne peut pas continuer comme ça. On parle de notre survie, quelque part. Quand on parle de la sixième extinction, c’est la fin du monde, c’est la mort. Pour ma génération, la fin du monde, c’était de la science-fiction. Aujourd’hui, des milliers de scientifiques nous disent: “Attention, on va vers la fin du monde”. Et on continue comme si c’était normal. On ne voit pas la réalité derrière ces mots. Mais je peux vous dire que les gens victimes des inondations en Belgique, ceux qui ont vécus des incendies cet été, les victimes du dôme de chaleur au Canada, eux, ils ont bien compris. Chaque année, le monde est en train de brûler. Je pense qu’on a tous la mission de parler de ça. C’est plus important que tout, que la politique, que n’importe quoi. Le bateau est en train de couler et ils sont en train de se battre pour savoir qui va en être le capitaine.
L’écologie, c’est plus important que tout, que la politique, que n’importe quoi. Le bateau est en train de couler et ils sont en train de se battre pour savoir qui va en être le capitaine.
Comment expliquez-vous l’inaction politique et le manque de consensus mondial, alors qu’on a été capable de le faire pour le Covid, par exemple?
Je pense qu’on ne réalise pas vraiment ce qui est en train d’arriver. Ces mots de fin du monde, ce sont des mots qui sont trop forts. Personne n’a envie de réfléchir à sa mort et on est persuadé qu’on va trouver la solution. Quoiqu’aujourd’hui, je sens autour de moi qu’il y a une forme d’acceptation. “On continue, on verra bien”. Parce qu’on ne sait pas changer… Et puis on n’a pas vraiment la solution.
Changer, ça signifie également remettre en question le fonctionnement même de notre société et de notre économie.
Ça pourrait se faire doucement. Mais aujourd’hui, on dépend tellement des autres pour notre vie au quotidien qu’on ne pourrait pas fonctionner autrement seul. Imaginons qu’un dirigeant en qui on aurait confiance nous disait: “On va tout tenter. On va manger que du bio, on ne va plus rien importer, arrêter de vendre des Airbus et des armes”. Si on est seul à le faire, ça ne fonctionnera jamais.
Et puis l’écologie, ce n’est pas de la politique. En fin de compte, c’est une utopie. On se bat contre un système, contre le capitalisme dont on dépend tous. C’est difficile de se combattre soi-même.
Qu’avez-vous envie de dire à la jeune génération?
Je le dis avec émotion: je leur dis pardon. Qu’est-ce que tu veux dire d’autre? L’autre jour, j’ai fait une projection à Hyères, dans le sud de la France, et il y a un petit garçon de 14/15 ans qui m’a demandé: “Monsieur Arthus-Bertrand, c’est quand la fin du monde?” Alors j’ai demandé aux enfants dans la salle lesquels d’entre eux croyaient à la fin du monde. Et le résultat ne m’a pas fait rire. 70% des bras se sont levés. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui, la génération qui arrive sait que le monde de demain va être compliqué.
Par contre, ce que je ne veux pas – et que je ne supporte pas – c’est de demander aux enfants de porter le poids du monde. C’est à nous de le faire. Y en a marre de dire aux enfants “faites ci”, “faites ça”, “c’est le problème des gens de demain”. Demain, c’est tout de suite. C’est à toi de changer. Si toi tu ne changes pas, ça sert à rien de parler dans le vide. Si toi tu n’es pas exemplaire, comment veux-tu que les enfants le soient?
Le monde ira où il ira, mais il faut l’accepter, il faut faire avec. Si tu ne fais pas ta part, tu ne peux pas l’accepter.
Vous parvenez tout de même à rester optimiste, malgré les constats pessimistes du monde scientifique et votre présence permanente sur le terrain?
Comme disait Einstein, je préfère être optimiste et idiot que pessimiste et juste. Et c’est drôle, parce que plus ça va, plus j’aime les gens. Je m’aperçois que mon travail, c’est de m’occuper des gens, et le fait de donner, d’aider, ça rend heureux. Je pense que c’est ça qui est important. Le fait de croire qu’on peut y arriver et qu’on peut s’aimer plus te permet d’accepter cette réalité. Ça m’arrive d’être pessimiste, mais d’un autre côté, je me dis qu’il y a aussi tellement de gens qui font des choses pour la planète… Le monde ira où il ira, mais il faut l’accepter, il faut faire avec. Si tu ne fais pas ta part, tu ne peux pas l’accepter. Si tu fais ta part, tu peux. Tu te dis, “c’est comme ça, mais je fais ce que je peux”.